Les personnes souffrant d’une forme grave de diabète, où les cellules bêta du pancréas ne produisent pas ou plus suffisamment d’insuline, n’ont d’autre choix que de s’injecter régulièrement de l’insuline artificielle pour survivre. Or, l’insulinothérapie n’est pas sans danger: difficile à doser, elle peut aussi, à long terme, entraîner de graves troubles métaboliques et cardio-vasculaires. Des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) travaillent depuis plusieurs années sur une thérapie alternative basée sur la protéine S100A9. Cette équipe apporte aujourd’hui la preuve de principe que cette protéine permet d’améliorer significativement le métabolisme des personnes en déficience d’insuline. De plus, en décryptant les mécanismes biologiques à l’œuvre, ils/elles ont découvert un effet anti-inflammatoire, inconnu jusqu’ici, qui pourrait s’avérer clé bien au-delà du diabète. Des résultats à découvrir dans la revue Nature Communications.
L’insulinothérapie, dont le 100e anniversaire a été fêté en 2021, a probablement sauvé la vie de centaines de millions de personnes souffrant de diabète de type 1 ou de formes sévères de diabète de type 2. Elle n’est cependant pas sans risque, en cas de doses trop fortes ou trop faibles. Elle est même directement responsable de certaines affections potentiellement mortelles. L’espérance de vie des personnes diabétiques insulino-dépendantes est ainsi diminuée de 10 à 15 ans par rapport à la norme. «Une hypoglycémie extrêmement dangereuse, un impact négatif sur le métabolisme des graisses et une augmentation du cholestérol sont quelques-uns des effets secondaires graves de l’insuline. C’est pourquoi nous cherchons à mettre au point des traitements complémentaires ou alternatifs plus efficaces et moins dangereux. », résume Roberto Coppari, professeur au Département de physiologie cellulaire et métabolisme et coordinateur du Centre du diabète de la Faculté de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux.
La protéine S100A9 fait ses preuves
En 2019, l’équipe du professeur Coppari a identifié une protéine nommée S100A9 qui permet de réguler la glycémie, les lipides et les corps cétoniques (un produit de l’oxydation des acides gras dans le foie, lorsque l’organisme ne dispose plus de suffisamment de glucose pour fonctionner) sans les effets secondaires de l’insuline. «Pour développer un médicament, nous devions cependant comprendre comment cette protéine fonctionne précisément et démontrer son efficacité sur des modèles animaux», souligne Giorgio Ramadori, collaborateur scientifique dans le laboratoire du professeur Coppari et auteur principal de cette étude.
L’équipe s’est d’abord attelée à décrypter le mode d’action de S100A9 chez des souris diabétiques. «Il s’avère que cette protéine agit dans le foie, indique Gloria Ursino, première auteure de cette étude et post-doctorante dans l’équipe de recherche. Elle active le récepteur TLR4, situé sur la membrane de certaines cellules, mais non sur les hépatocytes qui sont les principales cellules fonctionnelles du foie.» Il s’agit d’une excellente nouvelle d’un point de vue pharmacologique: cela signifie en effet que S100A9 n’a pas besoin d’entrer dans les cellules du foie pour agir et permet un mode d’administration par simple injection.
Chez les diabétiques, la carence en insuline peut provoquer une augmentation soudaine des corps cétoniques et l’acidification du sang, un mécanisme nommé acidocétose diabétique. Il s’agit d’une urgence vitale qui affecte chaque année de à 2 à 4 % des diabétiques de type 1. «L’activation de TLR4 dans le foie permet de contrôler la production des corps cétoniques, explique Gloria Ursino. Mais ce processus d’activation ne déclenche pas d’inflammation, alors que TLR4 est habituellement pro-inflammatoire. Le dialogue S100A9-TLR4 semble donc agir comme un anti-inflammatoire totalement inattendu.»
Une stratégie en plusieurs phases
Les scientifiques ont complété leurs résultats par l’examen du sang de diabétiques se présentant aux urgences avec une carence grave en insuline. «On y détecte une légère mais insuffisante augmentation naturelle de S100A9, détaille Giorgio Ramadori. Ainsi, une administration supplémentaire de S100A9 devrait renforcer ce mécanisme de compensation.»
Si l’idée d’une combinaison de médicaments a déjà été explorée, les recherches se sont concentrées sur des médicaments augmentant la sensibilité à l’insuline. «Mais cela n’a pour effet que d’aboutir aux mêmes résultats avec de plus faibles doses. Les effets secondaires de l’insulinothérapie restent donc identiques, explique Roberto Coppari. Ici, nous proposons une stratégie radicalement différente avec un médicament qui fonctionne indépendamment de l’insuline et qui ne peut ni déclencher une hypoglycémie, ni perturber le métabolisme des graisses.»
Les scientifiques vont dans un premier temps tester leur traitement en conjonction avec de faibles doses d’insuline, mais n’excluent pas, à plus long terme, la possibilité d’administrer la protéine S100A9 seule, dans certaines conditions. Afin de poursuivre le développement de cette thérapie très innovante, Roberto Coppari et Giorgio Ramadori ont créé une start-up, Diatheris, soutenue par UNITEC, le bureau de transfert de technologies de l’UNIGE, et FONGIT, la principale fondation de soutien à l’entrepreneuriat technologique du canton de Genève.