Comprendre la latence du VIH au niveau des molécules s’avère crucial pour mener à bien les efforts visant à éliminer le fléau viral à l’origine du SIDA. Les réservoirs de cellules infectées latentes, dans lesquels le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) se cache et grâce auquel il se maintient dans l’organisme des patients infectés, dans ce qu’on pourrait appeler une sorte de veille muette, sont la raison pour laquelle les traitements antirétroviraux ne parviennent jamais à éliminer le virus.
En un mot, ces réservoirs latents du VIH constituent le principal obstacle à la guérison.
Aujourd’hui, dans une nouvelle étude poussée dirigée par le Dr Marc-André Langlois, virologue à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, des chercheurs présentent une découverte à la teneur inattendue qui pourrait s’avérer transformatrice pour le domaine. Elle pourrait montrer la voie à suivre pour la recherche d’un traitement contre le VIH.
Publiés aujourd’hui dans la revue Nature Communications, les résultats démontrent qu’une famille de protéines de l’hôte, longtemps considérée comme purement antivirale, aide parfois aussi le VIH latent à trouver refuge dans le corps des patients.
En utilisant une technologie de pointe et des essais méthodiques dans ce projet qui a vu le jour en 2016, le Dr Langlois et ses collaborateurs expliquent le rôle des protéines codées par l’hôte appelées APOBEC3 (A3). Ces protéines sont capables de faire muter de façon significative l’ADN viral et de limiter les rétrovirus comme le VIH ainsi que d’autres types de virus. Mais les dernières découvertes de son équipe suggèrent que ces protéines peuvent également jouer un autre rôle en dehors de leur rôle évolutif traditionnel, et ce rôle ne profite pas toujours aux patients.
« Nous présentons un nouveau mécanisme selon lequel le VIH peut devenir latent grâce à l’action des protéines de l’hôte qui sont là pour nous protéger. Cependant, ces protéines peuvent en fait aider le virus à maintenir sa présence clandestine dans l’organisme », explique le Dr Langlois, professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en virologie moléculaire et immunité intrinsèque.
« Il s’agit d’une découverte importante puisque ces protéines ont toujours été perçues comme des protecteurs de notre bien-être. Cependant, nos travaux montrent que, dans certains cas, elles semblent entraîner des conséquences involontaires, et l’une de ces conséquences involontaires est de rendre le VIH latent. Or, la latence du VIH est le principal obstacle à la guérison », explique-t-il.
Cela soulève des questions majeures : L’action de ces protéines est-elle finalement plus bénéfique ou plus contre-productive dans le cas du VIH, un virus qui privilégie un phénotype de latence? Peut-on éventuellement développer un médicament qui empêcherait l’action des protéines A3 afin de réduire le réservoir cellulaire et anatomique de cellules infectées de façon latente?
C’est le genre de questions sur lesquelles le Dr Langlois et son équipe se pencheront.
« Oui, nous pouvons maîtriser le VIH grâce aux médicaments antirétroviraux, et ces médicaments fonctionnent merveilleusement bien. Mais ils ne constituent pas un remède. Nous nous efforçons de trouver un remède, et nous pensons qu’une partie des contre-mesures après une exposition consistera à bloquer l’activité des protéines A3 pour inhiber la latence du VIH », déclare le Dr Langlois, qui est également directeur général du CoVaRR-Net, un réseau de chercheurs interdisciplinaires créé pour contribuer à la stratégie globale du gouvernement canadien visant à faire face à la menace que représentent de nouveaux variants du SRAS-CoV-2.
« Nous avons fait la première démonstration que ce mécanisme, qui n’était pas soupçonné et qui va à l’encontre de la pensée dominante, se produit réellement. Il s’agit donc d’un premier niveau de preuve, et nous nous appuierons sur ces données dans les études de suivi. »
Pour cette étude, le Dr Langlois et son équipe de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa se sont concentrés sur les expériences sur des infections. Ils ont fourni des échantillons à des collaborateurs de l’Université Western en Ontario, qui ont fourni l’expertise en matière de « séquençage viral profond », en cartographiant les endroits où le virus s’insère dans le génome humain après l’infection. La recherche a été soutenue par une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).
Maintenant que la démonstration a été faite in vitro en laboratoire, et dans une certaine mesure dans des échantillons de patients, le Dr Langlois veut passer à l’étape suivante avec des modèles animaux. Et si l’impact global de l’influence des protéines A3 sur les profils des sites d’intégration du VIH n’est pas clair à ce stade, son équipe de recherche s’engage à explorer les explications potentielles.
Les enjeux de cette recherche sont importants. Depuis son apparition en tant que nouveau syndrome d’immunodéficience au début des années 1980, le VIH-SIDA est l’un des plus grands défis sanitaires de la planète. Des progrès remarquables ont été réalisés dans la lutte contre le virus, mais plus de 38 millions de personnes à travers le monde vivent avec le VIH et des dizaines de millions de personnes sont décédées de maladies liées au VIH depuis le début de l’épidémie.